Préface de Michel Droit de l’Académie française

de Germersheim au pays kurde …
du 17e Régiment colonial du génie au 17e Régiment du génie parachutiste

Le 31 mars 1945, sur les grèves du Rhin palatin qui charriait ses eaux colossales, je venais peut-être de commencer à imaginer ce qu’il pourrait, un jour, y avoir de décisif dans cette vie, la mienne, qui venait à peine de poindre.

J’avais alors un peu plus de vingt ans. Et ce qui m’advenait, j’éprouvais encore quelque mal à y croire.

Quelques instants plus tôt, nous avions vu arriver le général de Lattre de Tassigny, entouré d’une part imposante de son état-major. L’ennemi s’en était-il aperçu ? En tout cas les tirs dont il nous gratifiait depuis l’aube s’étaient soudain mis à redoubler d’intensité. En particulier ceux qui nous arrivaient de Germersheim situé non loin de là.

Et, sous mes yeux, je venais de découvrir le déjà légendaire 17e Régiment Colonial du Génie qui permettrait à de Lattre d’être bientôt le premier chef militaire français depuis Turenne à avoir franchi le Rhin de «vive force».

Ces souvenirs sont toujours présents, au sein du régiment, comme je les ai conservés en mon cœur. Et c’est seulement un peu plus tard que l’inscription Germersheim 1945, superbement méritée par le 17e Régiment Colonial du Génie, restera l’emblème de celui-ci.

Depuis lors, beaucoup d’évènements se sont bousculés au grand souffle de l’Histoire.
Et puis un jour, longtemps plus tard, le destin m’envoya loin de mes précédentes rencontres avec luiCette fois, jusqu’aux premiers contreforts de la montagne kurde où passe une route qui descend vers la ville irakienne de Zakho.

Il était près de 17 heures, la plus belle heure en pays kurde à cette époque de l’année où nous nous trouvions. La Jeep, qui m’emmenait retrouver une équipe de démineurs du 17e Régiment du Génie Parachutiste, escaladait la pente avec une belle ardeur.
D’un côté se dressait une muraille de granit rouge, toute proche. De l’autre, il y avait la plaine de Mésopotamie et ses bleutés à perte de vue. Comment réaliser que je n’étais, peut-être, qu’à cent kilomètres au nord de Ninive et de Khorsabad, royaume légendaire de Sardanapale ?… Et que c’était encore moins vers l’ouest que le Coran (s.11-v.44) situe la colline où se serait échouée l’arche de Noé, au lieu du mont Ararat.

« Tenez, regardez bien ce petit bout de ferraille, me dit un démineur. Eh bien, à lui seul, il peut détruire toute vie humaine dans un rayon de 50 m ».

Et le para au béret rouge de me montrer un petit objet métallique peint en jaune, qu’on eût dit surmonté de trois antennes, et qu’il venait de neutraliser avec des doigts sans doute plus habiles encore que ceux des dentellières de Bruges.


Mai 1996

Michel DROIT (1923-2000) de l’Académie française,
Officier de la Légion d’honneur,
Médaille militaire,
Croix de guerre 1939-1945,

Officier de l’Ordre national du mérite,
Commandeur des Arts et des lettres.